Portraits à Milan : Charlotte Dusart, chocolatière

28 octobre 2020 | Actualités, Dernières news

“Portraits à Milan” donne la parole à des francophones ou francophiles de Milan dont le parcours et l’expérience, nous ont interpellés. Nous voulons partager avec vous ces rencontres avec des personnes inspirées et inspirantes.

Pour ce second rdv “Portraits à Milan”, nous rencontrons Charlotte Dusart, chocolatière. Charlotte est une “late bloomer” c’est-à-dire qu’elle s’est lancée dans l’entrepreneuriat après avoir eu une carrière dans les Ressources Humaines et la vente. Elle a suivi sa passion pour le chocolat et a ouvert une boutique à Milan en 2018.

Bonjour Charlotte, merci de me recevoir dans ta boutique Via Eustachi 47, tout près du Corso Buenos Aires.
Nous allons commencer l’interview par mentionner un de tes compatriotes, célèbre chocolatier qui parle de la “mémoire du goût”. Toi, Charlotte, quel est ton premier souvenir lié au chocolat ?
J’ai deux souvenirs, l’un très conscient et l’autre qui m’a été tellement raconté que je me le suis approprié. Mon père m’amenait à la crèche et tous les matins sans que ma mère le sache, il me déposait un petit bout de chocolat noir sur la langue. Du coup, j’ai eu comme premier mot ‘coco’ avant même ‘papa’ et ‘maman’. Ensuite, le vrai souvenir est que, quand j’étais petite, il me manquait du fer et je devais prendre un cachet tous les matins. Mes parents l’écrasaient et le mettaient dans une bouchée de nutella. C’était horrible mais c’était du chocolat et donc je le prenais de toute façon. Donc, le chocolat m’a été donné à la cuillère dès le plus jeune âge !

Peux-tu nous raconter le parcours qui t’a conduit à ouvrir ta boutique à Milan ?
Dans ma famille, tout le monde a un parcours universitaire. Il était donc impensable de faire autre chose. J’ai étudié les Communications car je suis assez expansive. Mais après quelques stages, j’ai compris que ce n’était vraiment pas un métier pour moi. J’ai été embauchée dans un cabinet de recrutement où j’imaginais idéalistiquement un métier tourné vers l’autre. Alors qu’en fait, c’est de la vente pure et dure. J’ai fait cela pendant 2 ans et j’ai appris énormément. Je suis devenue “un requin de vente”, mais cela m’a épuisé. Je me suis alors dit que je ne souhaitais pas travailler sur un service mais sur un produit. J’ai été recrutée par une société de spiritueux comme représentante commerciale puis comme gestionnaire de compte, un métier également très intéressant mais extrêmement poussé vers la vente et la négociation. Même si j’étais assez douée, cela ne m’apportait pas beaucoup de plaisir. J’avais des horaires un peu plus adaptables. Alors, j’ai fait une formation de chocolaterie en cours du soir au Ceria à Bruxelles. C’était une échappatoire, quelque chose que j’avais toujours voulu faire comme ‘hobby’. Sauf qu’après 2 mois, je me suis dit “Wouah pouvoir faire cela tous les jours, ce serait fantastique ! ” J’ai fait des stages au sein de deux chocolateries et j’ai réalisé que c’était vraiment fait pour moi. Je me levais tôt, je faisais plein d’heures mais j’étais ravie. L’odeur, le goût, le fait de créer quelque chose… Au final, j’ai voulu postuler mais personne ne m’a engagé parce que sur mon CV, je parlais 5 langues, j’avais fait l’université. Quand on me voyait, c’était bon mais quand on regardait mon CV, on me répondait “on ne cherche pas vraiment …” J’ai eu ma fille et pendant mon congé de maternité, j’ai modifié mon CV. J’ai enlevé toutes mes langues, j’ai enlevé ma formation universitaire, j’ai enlevé mon expérience professionnelle et j’ai juste dit que j’avais fait de la Vente. Alors, j’ai eu un entretien chez Wittamer, maison très ancienne à Bruxelles. Le gars m’a vu et m’a dit “je vois que tu as vraiment la niaque, on va te prendre”. Mon rêve ! Je me levais à 5h du matin, j’avais ma petite mais j’étais ‘sur le feu’. Et puis, nous sommes venus à Milan puisque mon mari a eu une opportunité professionnelle. Je voulais continuer à travailler comme chocolatière. Après 10 mois à Milan, j’ai travaillé pour une chaîne italienne qui fait tout Autour du chocolat. Au début, j’ai fait la barista, j’ai appris l’italien. Au fur et à mesure, j’ai été formée au “Bean to bar” c’est-à-dire à toutes les étapes de la fabrication d’une tablette, ce qui était très intéressant. Mais là encore, c’était ciblé sur la vente et non sur le goût. Un jour, une amie belge me parle d’une chocolaterie ouverte depuis 12 ans qui fonctionne très bien et dont les créateurs ont été recrutés à New-York donc ils voulaient vendre leur local avec la clientèle, le matériel. C’était trop beau pour être vrai, si ce n’était pas maintenant, je ne le ferai jamais. Après quelques semaines d’hésitations puis de négociations, je l’ai fait. Cela a été un chamboulement car j’avais beaucoup de compétences mais il y en avait beaucoup qui me manquaient. Je me suis adaptée au goût des italiens. Et j’ai ouvert quelques mois après, en tremblant.

Le milieu de la chocolaterie semble un métier très masculin ? Est-ce une réalité et comment cela t’a impactée dans ta formation ? 

C’est un métier extrêmement masculin mais comme tous les métiers de bouche en général. Nous, les femmes, on a un peu moins confiance en soi et quand tu n’as pas quelqu’un dont tu peux admirer la réussite, cela pose problème. Très vite, j’ai trouvé des femmes aux États-Unis, Kate Weiser et Melissa Coppel. Elles ont un charisme incroyable. L’une a une boutique, l’autre une école. Elles promeuvent à fond le travail des femmes. Elles aussi doivent se battre pour ne pas être mises de côté. Je m’accroche à cette idée et cela implique que je ne travaille qu’avec des femmes. Je leur donne une opportunité. Je ne me dis pas “à 30 ans, elle va avoir un enfant !” Elle a l’air motivé, je la prends. De plus, le côté féminin se ressent dans une boutique ou derrière un projet. Ma graphiste est une femme, la personne qui travaille avec moi à l’atelier est une femme. Quand je me fais aider, c’est toujours par des femmes ! Donc, oui j’essaie de pousser ce côté-là.

La génération précédente d’artisans chocolatiers faisaient des échanges de recettes pour progresser. Aujourd’hui, internet aide à s’improviser boulanger, pâtissier. Pour toi, comment cela se passe et quel est ton processus de création ?
Les bases en chocolaterie sont apportées par la formation. Il faut qu’un professionnel t’ait expliqué les techniques. Par contre, pour moi, la communauté Instagram a une place essentielle. Depuis 2014, je suis très active sur ce réseau. Cela t’ouvre énormément de portes dans le processus créatif. J’ai des onglets pour tous les événements, pour tous les types de couleurs, pour les packaging qui me plaisent. Je regarde également dans l’architecture et le design. Quand je pense à une création ou à une collection, j’ai déjà un monde d’idées. Dans la chocolaterie, nous sommes liés à des moules ou des formes. Tu sais ainsi quels moules ou quelles formes existent et comment tu peux jouer avec. Je suis toujours au courant de ce qui se passe dans le monde du chocolat et des nouvelles tendances. Mais, il y a des choses que je ne sais pas faire même si j’ai une formation. J’ai deux exemples. Les clients me demandaient des Boeri. Je ne savais pas ce que c’était, n’étant pas italienne. En fait, c’est une cerise enrobée d’alcool et de chocolat. Je n’avais jamais fait cela de ma vie. Du coup, internet m’a aidé. J’ai adapté la recette et voilà, c’est fantastique. L’autre exemple est la tablette Macha que j’avais créé. Je trouvais que cela perdait énormément de goût après quelques jours. Or, une collègue à Sydney m’a partagé ses astuces. Et j’y suis arrivée. Je partage beaucoup avec des gens en Australie, aux Etats-Unis, en Chine. Je suis plus ouverte à partager avec tous mes autres collègues en ligne. Les gens qui ont fait des formations dans des écoles surtout en France sont très protecteurs de leurs recettes. C’est secret sauf si tu vas en formation chez un chocolatier. Alors, dans ce cas, tu ‘mérites’ les recettes. La mentalité anglophone est en général plus dans le partage.

Souvent les gens l’ignorent mais on parle de cépages pour les fèves de cacao. Quelle est la variété de cacao que tu préfères ?
Je ne suis pas une personne puriste. Ce que je préfère, c’est l’association d’un chocolat avec un goût qui me surprend. Je fais des tablettes de chocolat mais la majorité de mes créations sont des fourrages, des dragées, des pâtes à tartiner. J’ai des chocolats qui sont originaires d’un certain pays ou d’un certain lieu-dit notamment celui que j’ai de Madagascar. Mais ce sera toujours un mix de Criollo, Forastero. Presque 99% des chocolats que nous mangeons sont un mix de fèves d’origine et d’arbres différents. L’important n’est pas spécialement l’arbre mais où se trouve cet arbre et quel est le sol qui le nourrit. C’est cela qui fait qu’une fève aura un certain goût. Ensuite, le plus important est le sucre et la balance avec le beurre de cacao. Je pars du principe qu’un assemblage fait qu’un chocolat peut être fantastique ou très mauvais.

Il semblerait que la situation actuelle nous pousse vers la qualité du produit en sollicitant des artisans. Or, pour avoir un chocolat créatif et de qualité, il faut y mettre le prix. Quelle gamme de prix proposes-tu dans ta boutique ?
J’ai une gamme de prix extrêmement large parce qu’en tant qu’étudiante qui adorait le chocolat, j’aimais entrer dans une chocolaterie sans me sentir mal à l’aise. Je veux qu’un étudiant autant qu’un homme ou une femme d’affaires viennent dans mon magasin et puisse dépenser ce dont il a envie. Donc, on part d’une tablette à 5€ ou un petit sachet de chocolats au poids à de très jolies boîtes qui peuvent aller jusqu’à 80€. On peut donc dépenser pour moins de 10€ et partir avec un sachet bien fourni !

Pour la deuxième année consécutive, tu as offert des chocolats lors du Café de Rentrée de Milan Accueil. L’année dernière, je me souviens avec gourmandise d’une sélection de chocolats en forme de capsule de café.
Cette année, quel a été ton choix pour régaler les personnes présentes au Café du 22 septembre dernier ?
J’ai proposé des truffes au caramel beurre salé car c’est un clin d’oeil aux francophiles qui d’habitude adorent le beurre salé. C’est typique de notre culture. Et j’ai proposé des pralines Tiramisu car pour les anciens à Milan ou les nouveaux arrivés, le Tiramisu, c’est un goût connu de tous qui fait penser à l’Italie.

Avant de nous quitter, je te propose “le clin d’œil de l’interview”. Quelle est la question que tu aimerais que je te pose ?
C’est en fait une question qu’on me pose souvent. A quel moment sait-on quand on est prêt pour se lancer ? Souvent, on se dit “est-ce-que je le ferai ou je ne le ferai pas ?” Souvent on me demande “Comment t’as fait ?” En fait, j’ai envie de répondre qu’il faut avoir les bases dans le métier. Souvent, on a tendance à avoir peur de l’échec et on se dit “ça, je ne sais pas encore bien le faire, ça, je ne suis pas encore au top ou je ne connais pas encore bien la gestion ou je ne connais pas la vente”. Je remarque que quand on arrête d’avoir peur et qu’on se dit juste “je vais fermer les yeux, je vais plonger, je vais bien apprendre à nager, bien sûr, je vais faire mille erreurs mais chaque erreur me permettra de grandir, de m’améliorer et c’est cela qui rend les choses existantes. Si je savais déjà tout faire ce serait vraiment très ennuyeux”. Si les gens lisent cela et se disent “j’hésite à me lancer” et bien, il faut le faire, il ne faut pas avoir peur. On n’a qu’une vie, si on ne le fait pas, après on regrette. Il faut juste oser et puis si on rate, on recommence ou on fait autre chose.

Un grand merci Charlotte pour ton accueil.

Emma Quéau

Cioccolateria belga by Charlotte Dusart
Via Eustachi 47 – 20129 Milano
Métro M1 Lima M2 Loreto
Du Mardi au Samedi
10h-13h & 14h30-19h

Tel +39 02 20520158
E-mail: ciao@charlottedusart.com
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